Le temps de l’Afrique semble avoir sonné : le 21e siècle devra compter avec cette région du monde. Démonstration chiffrée et argumentée par des économistes africains.
L’Afrique connaît, depuis une décennie, une accélération économique importante, avec un taux moyen de croissance de son PIB réel autour des 5% en rythme annuel (moins de 2% dans les années 1990), largement au-dessus de celui des économies développées. Plus intéressant encore, la décomposition de cette croissance économique montre que la part de la demande domestique n’a cessé de prendre de l’ampleur, passant à près de 150% du taux de croissance enregistré en 2007, alors même qu’elle ne pesait pas plus de 20% de la croissance (principalement les dépenses gouvernementales) en 2000
La consommation privée compte désormais pour près de 60% de la croissance économique, contre une contribution négative à la fin des années 1990. La formation brute de capital fixe n’a contribué, elle, que pour moins de 25% à la croissance économique, une taille bien faible par rapport à l’Asie du Sud Est, par exemple. Le PIB africain par tête d’habitant s’accroît, lui aussi à un rythme soutenu de près de 3% en moyenne, entre 1995 et 2008 (un taux identique à celui de l’Amérique latine, contre 8% en Asie du Sud Est, sur la même période). Pour 2010 (2011), les prévisions indiquent une amélioration de la croissance, avec des taux attendus à 4,7% (5,9%, respectivement).
Des fondamentaux au vert
Certains pays ont su, par exemple, réinvestir la manne financière des matières premières pour diversifier davantage leurs économies, évitant ainsi de dépendre uniquement des exportations. La coopération régionale et le commerce entre pays du Sud ont également stimulé le continent, notamment grâce à leur regroupement dans des espaces de marchés communs.
Les déficits publics sont passés de près de 3% du PIB en moyenne, à la fin des années 1990, à un surplus de 1,9% en 2008. L’inflation semble également sous contrôle, avec une moyenne à 6,2% en 2008, contre près de 30% dans les années 1980.
Les réserves de change sur le continent ont augmenté, passant de moins de 50 milliards de dollars, à la fin des années 1990, à près de 300 milliards de dollars en 2007.
Les flux bruts de capitaux privés sont passés de seulement 9 milliards de dollars, en 2000, à près de 45 milliards en 2006. Quant aux flux d’IDE (près de 30% du total des investissements bruts dans tout le continent), ils sont passés de moins de 10 milliards de dollars en 1995 à 88 milliards en 2008, amenant ainsi le stock des IDE dans le continent à près de 511 milliards de dollars.
Le volume total médian de la dette extérieure des Etats africains a, lui, parallèlement, fortement chuté, passant de près de 70% du PIB, au début des années 2000, à 23% du PIB en 2007. Et, enfin, les bourses financières africaines, bien qu’encore immatures dans certains pays, ont enregistré des performances particulièrement saisissantes, avec une rentabilité moyenne continue de près de 6%, durant les dernières années (S&P Africa 40, en dollar, sur la période décembre 2000 à décembre 2007).
Comme l’Amérique latine
Le débat sur la désillusion des économies africaines a toujours fait couler beaucoup d’encre.
Entre le 1er janvier et le 28 novembre 1960, dix-sept pays africains déclaraient officiellement leur indépendance politique. Dès lors, l’avenir du continent semblait brillant et prometteur. Les économies y étaient solides et le taux de croissance largement supérieur à celui d’autres régions comparables, que sont l’Asie du Sud Est et l’Amérique latine, par exemple.
En général, la réflexion s’est portée sur la mauvaise gouvernance, les déséquilibres budgétaires et commerciaux, la mauvaise qualité des infrastructures, la non-diversification de ces économies extrêmement vulnérables aux chocs extérieurs. Quelle que soit la piste retenue, il n’y a aucun doute : les performances économiques de l’Afrique postcoloniale ont été catastrophiques et qualifiées de tragédie par de nombreux économistes.
L’histoire, cependant, nous montre des similitudes étonnantes de trajectoires avec d’autres régions en développement, qui conduisent à des comparaisons certaines et permettent d’extrapoler sur les performances économiques à venir du continent noir. Bien que toute trajectoire historique ait sa spécificité, nous pouvons trouver des similitudes intéressantes de trajectoires entre les pays africains et d’autres régions émergentes, comme l’Amérique latine après les indépendances. En effet, en dépit du fait que l’Afrique et l’Amérique latine ont conquis leurs indépendances de la domination coloniale européenne à différentes périodes de l’histoire (la plupart des pays latino-américains après 1820 et ceux de l’Afrique après 1960), les deux continents partagent des similitudes stupéfiantes dans leurs trajectoires.
Dans chaque cas, les indépendances ont été suivies par de l’instabilité politique, des conflits violents et une stagnation économique qui a duré près d’un demi-siècle. Des estimations empiriques montrent, par exemple, que, durant les cinquante premières années des indépendances, la croissance du PIB par tête d’habitant du continent latino-américain n’a jamais dépassé 1% par année. La même analyse s’applique à l’Afrique, puisqu’en cette année du cinquantenaire, on observe que le PIB par tête d’habitant du continent n’a cru, en moyenne, que de 0,89% par année, jusqu’encore en 2002. Par comparaison historique, on observe donc que la performance économique dans le demi-siècle qui suit les indépendances a été relativement faible pour les deux continents.
Comme pour l’Amérique latine, l’instabilité politique et les conflits civils violents en Afrique ont énormément pesé dans la performance économique d’après-colonisation. Mais les choix politiques ont aussi joué un rôle non négligeable. En Amérique latine, presque tout va changer après le cinquantenaire des indépendances. A commencer par la politique, où le changement est venu des victoires (parfois par les armes) des mouvements libéraux. Ceux-ci vont imposer des reformes importantes (comme l’égalité civique, la fin de l’esclavage, la séparation de l’église et de l’Etat, la suppression des monopoles, l’adoption de nouveaux codes civil et commercial, la réforme du système judiciaire et la réorganisation du système bancaire) ainsi que la mise en place de politiques économiques basées sur l’investissement (dans les infrastructures physiques, notamment), sur l’ouverture commerciale, la renégociation de la dette domestique et extérieure, etc. Tous ces changements vont apporter de la stabilité, qui va favoriser la croissance économique de la région.
Partis uniques et gestions centralisées
La similitude des faits reste, encore ici, troublante. En effet, la plupart des gouvernements africains de postindépendance ont choisi des systèmes politiques de partis uniques, nationalistes, souvent militaires, accompagnés d’un modèle économique de gestion centralisée, et souvent peu ouvert, voire peu diversifié, au commerce extérieur. Ces choix politiques unilatéralistes et interventionnistes ont créé des Etats hypertrophiés, évinçant l’initiative et l’investissement privés, favorisant la gabegie, la baisse des revenus publics et une recrudescence des déficits et de la dette souveraine. Cependant, à côté des assainissements économiques mentionnés précédemment, le continent africain semble connaître, depuis peu, une diminution des conflits politiques et armés.
Certes, comparaison n’est pas raison. Mais, si l’histoire devait être comparable, des signaux analogues semblent indiquer que l’Afrique devrait imiter l’expérience latino-américaine et entrer dans une période de stabilité politique et de croissance économique soutenue. Certaines zones demeurent encore instables, mais la paix, bien que parfois fragile, est bien là. La démocratie, naissante aussi, mais active, a conduit à l’élection d’une nouvelle élite qui met, tant bien que mal, en place des réformes institutionnelles importantes et adopte des politiques économiques plutôt libérales, permettant notamment d’attirer davantage de capitaux internationaux et d’investisseurs étrangers.
La renaissance
En cette année où la Coupe du monde de football a lieu pour la première fois sur le continent et en pleine période de commémoration des 50 ans d’indépendance, l’avenir de l’Afrique semble à nouveau radieux, toute chose étant égale par ailleurs. Est-ce alors la renaissance tant attendue de l’Afrique ? Il semble en tout cas que le continent en emprunte le chemin.
Indicateurs du développement : l’Afrique au rythme du monde
Les indicateurs du développement en Afrique le confirment. Les économies africaines croissent désormais au même rythme que le reste du monde.
La Banque mondiale a rendu public mercredi dernier à Johannesburg les Indicateurs 2007 du développement en Afrique, ADI. L’ADI fournit, selon l’institution, la collection la plus détaillée de données sur l’Afrique avec plus de mille indicateurs basés sur des données de 1960 à 2006 qui couvrent 53 pays. Le rapport note que de « nombreuses économies africaines semblent avoir pris un nouveau virage et s’orientent peut-être vers une croissance économique plus rapide et plus soutenue… Les investissements sont passés de 16,8% du PIB à 19,5% du PIB entre 2000 et 2006. Leur efficacité et leurs volumes sont désormais comparables à ceux de l’Inde et du Vietnam.
Les solides performances économiques enregistrées dans l’ensemble du continent au cours de la décennie 1995-2005 contrastent nettement avec l’effondrement économique survenu au cours de la décennie 1975-1985 et la stagnation observée en 1985-1995. » Croissance durable Avec une croissance moyenne de 5,4% en 2005 et 2006, pour la première fois en trois décennies, les économies africaines croissent au même rythme que le reste du monde. Cette croissance demeurera forte, soutient l’ADI. Le bilan demeure toutefois très contrasté d’un pays à l’autre. Le Zimbabwe affiche moins 2,2% alors que la Guinée équatoriale est à 30,8%. Les 10% les plus riches des pays africains ont un PIB par habitant 18,5 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres. L’embellie africaine s’explique d’abord par le pétrole. Les exportations sont passées de 182 milliards US$ en 2004 à 230 milliards US$ en 2005, une augmentation de 26%. Le pétrole brut représente plus de la moitié de ces exportations. Les investissements étrangers directs sont allés à 60,5% aux pays exportateurs de pétrole. Les investissements ont également joué leur rôle. Ils sont passés de 16,8% du PIB à 19,5% du PIB entre 2000 et 2006.
L’Afrique souffre encore de l’augmentation des coûts indirects liés à l’exportation, 18% à 35% du coût total, contre 8% en Chine. Leur efficacité et leurs volumes sont désormais comparables à ceux de l’Inde et du Vietnam. L’incidence du pétrole est réelle mais le rapport note que, « le renforcement de l’intégration dans l’économie mondiale, notamment à travers le commerce d’exportation, constitue la caractéristique commune à tous les pays africains qui ont connu une croissance soutenue ».
Déficit d’infrastructures Les réformes de la dernière décennie ont permis de réduire l’inflation, les déficits budgétaires et d’améliorer les taux de change et le remboursement de la dette extérieure. Les fondamentaux économiques ainsi améliorés ont stimulé la croissance et évité les effondrements de la croissance entre 1975 et 1995. Les économies demeurent toutefois fragiles. La croissance y est plus volatile que partout ailleurs au monde en raison des conflits, de la gouvernance et des prix mondiaux des produits. Les pointes de croissance ont rarement duré et ont souvent été suivies de déclins féroces. L’Afrique souffre encore de l’augmentation des coûts indirects liés à l’exportation, 18% à 35% du coût total, contre 8% en Chine. Ce surcoût annihile les gains de compétitivité des entreprises africaines qui peuvent soutenir la concurrence avec les entreprises indiennes et chinoises pour ce qui est des coûts de production. La déficience des infrastructures en est la principale cause. L’Afrique subsaharienne est en retard d’au moins 20 points par rapport à la moyenne des pays en développement. Les besoins non satisfaits de l’Afrique sont estimés à environ 22 milliards de dollars par an sans compter 17 milliards pour le fonctionnement et l’entretien.
Dette : l’Afrique doit moins
La dernière décennie a été celle du désendettement du continent. L’encours de la dette a été divisé par trois entre 1998 et 2007.
La Commission économique pour l’Afrique (CEA) soutient, dans un rapport rendu public la semaine dernière, que la dette extérieure a baissé de 62,4% à 23,1% du PIB sur tout le continent entre 1998 et 2007. La baisse s’est faite en deux étapes. Le stock de l’encours, qui était de moins de 62,4% pour les années 1998-2001, est tombé à 47,2% pour les années 2000-2005. La seconde étape a été spectaculaire puisque entre 2005 et 2007 il a encore chuté de moitié en s’établissant à 23,1%. La croissance économique, qui était à peine de 1% au début des années 1990 pour s’être bien améliorée au cours des dix dernières années, avec un taux moyen de 5,7% en 2006 et de 5,8% en 2007, a contribué à la résorption de l’encours extérieur. Plus que le résultat brut, l’intérêt est dans les explications de la baisse. S’agit-il d’une baisse quelque peu artificielle résultant de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés), ou alors reflète-t-elle une réelle amélioration de la situation économique ?
Les deux, répond la CEA. Elle résulte « essentiellement de l’amélioration des résultats économiques des pays africains, de l’allègement de la dette intervenu au titre de l’initiative PPTE et de l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale pour les pays à faibles revenus », indique-t-elle.
Deux fois son PIB !
L’initiative PPTE concernait une trentaine de pays africains sur les 42 qui y étaient éligibles à son lancement par la Banque mondiale et le FMI, en 1996, pour rendre plus soutenables des dettes extérieures parfois supérieures au PIB des pays. Le Congo, pays le plus endetté au monde par habitant, devait en 2005 environ 9 milliards de dollars de la dette publique, soit plus de deux fois son PIB.
Pour éviter une nouvelle crise de l’endettement, comparable à celle connue par certains pays d’Amérique du Sud qui avaient réagi en refusant de continuer à payer, au risque de paralyser le système financier international, les institutions de Bretton Woods ont donc convenu, moyennant des conditionnalités en matière de réformes économiques, « d’assister les pays les plus pauvres en rendant leurs dettes internationales plus soutenables ». Surtout que le payement, souvent, ne pouvait guère être espéré, notent les experts opposés à cette politique.
La bonne nouvelle est que le désendettement n’est pas dû qu’à l’initiative PPTE. Il résulte également de résultats propres aux économies continentales. Dans la zone CEMAC, par exemple, c’est en partie grâce à l’augmentation de 33,1% des recettes totales hors dons et un excédent budgétaire de 11,5% du PIB en 2008, de 8,2% en 2007, que les Etats ont apuré partie des arriérés extérieurs qui s’élevaient à 1501 milliards FCFA (2,29 milliards d’euros).
« Piètre discipline budgétaire »
Au plan continental, explique la CEA, la croissance économique, qui était à peine de 1% au début des années 1990 pour s’être bien améliorée au cours des dix dernières années, avec un taux moyen de 5,7% en 2006 et de 5,8% en 2007, contre 3,4% pour la période allant de 1998 à 2002, a contribué à la résorption de l’encours extérieur.
La CEA s’inquiète toutefois des déficits publics persistants résultant d’un faible niveau de recouvrement des recettes et de l’augmentation des dépenses publiques due à une « piètre discipline budgétaire ».
L’UEMOA a déjà réagi en décidant de renforcer les capacités des gestionnaires des finances publiques. Reste à savoir si ce sont leurs capacités qui sont en cause ou plutôt des choix politiques. Face aux manifestations contre la vie chère, par exemple, plusieurs gouvernements avaient décidé de subventionner les produits alimentaires.
Par Chérif Elvalide Seye, (Dakar ), Andy Kalusivikako, politologue et Olivier Lumenganeso, économiste
Références
- Bates R., Coatsworth J., et Williamson J. (2007) : « Lost decades, postindependence performance in Latin America and Africa », The Journal of Economic History, Volume 67 , Issue 04, pp. 917-43 ;
- David Rockfeller Center for Latin American Studies (1999): Latin America and the World Economy Since 1800, édité par Coatsworth J. et Taylor A.;
- Ndulu B., O’Connell S., Bates R. (2007) : The political economy of economic growth in Africa, 1960-2000, volumes 1 et 2, Cambridge University Press ;
- Pierre de Senarclens (2001), La mondialisation : Théories, enjeux et débats, Armand Colin, Paris, 2001.
Diplômé en économie et finance de l’université de Genève, Olivier Lumenganeso est analyste financier et stratégiste global, spécialiste des marchés émergents dans la banque privée. Il a aussi une expérience dans l’enseignement universitaire et dans la recherche appliquée au sein, notamment, des organisations internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.
Politologue, Andy Kalusivikako est diplômé en sciences politiques et en relations internationales des universités de Lausanne et de Louvain en Belgique. Il travaille dans le secteur bancaire. Comme consultant indépendant, il développe régulièrement des mandats de conseil stratégique sur les enjeux publics et privés.