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8 avril 2010 4 08 /04 /avril /2010 15:52

A l'occasion du cinquantenaire des indépendances africaines, Jean-Michel Severino et Olivier Ray, auteurs du Temps de l'Afrique (Ed. Odile Jacob), offrent un nouveau regard sur l'histoire économique tourmentée des nations subsahariennes. Là où certains y discernent les signes d'une « tragédie africaine », ils n'y voient qu'une banale « tragédie des cycles économiques ».

 

3b0bed1Nous célébrons cette année le cinquantenaire des indépendances africaines. L'occasion d'un nouveau regard sur l'histoire économique tourmentée des nations subsahariennes - nécessaire à la compréhension des basculements en cours en ce début de XXIe siècle.

Insatisfaits de ces « théorie de la malchance » qui méconnaissent la force de l'histoire humaine et des intérêts qui s'y jouent, d'autres auteurs ont vu dans la persistance du sous-développement africain un legs colonial. Très en vogue dans les années 1960 et 1970, ces thèses de la responsabilité du « Nord » dans le sous-développement du « Sud » continuent à nourrir certaines des réflexions altermondialistes contemporaines. L'an dernier, une économiste d'origine zambienne issue du bord idéologique inverse (néolibéral) a remis la thèse de la malédiction néocoloniale au goût du jour en dénonçant une aide au développement « fatale » pour la croissance africaine (2). Pourquoi donc, Africains, êtes-vous pauvres ? Parce que votre histoire est africaine. Seconde tautologie.

Refusant d'absoudre les Africains de toute responsabilité dans leur propre sort, d'autres sont au contraire allés puiser les causes du sous-développement tenace qui sévissait au Sud du Sahara au plus profond de l'identité des peuples qui y vivent. L'Afrique, rétive au progrès, serait avant tout victime d'elle-même, en proie à un ensemble de traditions foncièrement incompatibles avec le développement. Dépourvu de la conscience du temps, insoucieux de l'avenir, l'Africain vivrait à jamais dans le présent. Rien de moins qu'un « programme d'ajustement culturel » serait nécessaire pour que les Africains parviennent au développement (3). Pourquoi donc, Africains, êtes-vous pauvres ? Parce que votre culture est africaine. Troisième tautologie.

Si l'existence de contraintes géographiques, historiques et institutionnelles est indéniable en Afrique comme ailleurs, faire de la géographie, de l'histoire ou de la culture la cause profonde du sous-développement africain revient à entretenir la confusion de tous sur des semi-vérités anhistoriques. Le substrat commun de ces théories est le fatalisme propre aux discours scientistes : en s'évertuant à lever le voile du « mystère africain », elles le réifient - et se rendent aveugles aux mutations à l'oeuvre au Sud du Sahara. 

 

L'Afrique n'est pas condamnée

Non, la tragédie du sous-développement africain n'est pas celle que l'on croit : l'Afrique n'est condamnée ni pararton3224-96x100 sa géographie, ni par son histoire, ni par sa culture. Plutôt qu'à une faillite généralisée et immuable, l'histoire africaine depuis les indépendances révèle une succession de crises. Là où certains y discernent les signes d'une « tragédie africaine », nous n'y voyons qu'une banale « tragédie des cycles économiques ».

On l'oublie aujourd'hui, l'Afrique noire était plutôt bien partie : les premières années des indépendances ont représenté un véritable âge d'or pour le sous-continent. Le produit intérieur brut africain dépassait alors celui de l'Asie (hors Japon), et les regards inquiets des économistes de la Banque mondiale se tournaient vers la Chine et l'Inde. La croissance africaine atteignait 4,6 % par an en moyenne de 1960 à 1973. La décennie 1970 n'en fut pas moins celle de l'emballement de la machine économique africaine et de sa fuite en avant dans l'endettement - caractéristique de l'ambition des nouvelles nations et de l'espoir suscité par la montée des cours des matières premières. La dette africaine augmenta de 20 % par an de 1972 à 1980.

Poids de la dette et revenus des exportations en baisse : la « crise des ciseaux »

La « crise des ciseaux » provoquée par la chute soudaine et durable des cours des exportations africaines et la hausse vertigineuse des taux d'intérêt plongea en quelques années l'Afrique subsaharienne dans une longue période de stagnation, dont elle sort à peine. La faillite économique des États africains se mua rapidement en faillite symbolique, et c'est dans ce contexte que les bailleurs de fonds choisirent de laisser s'effondrer leur aide. Ainsi de 34 dollars par habitant en 1990, l'aide au développement au continent tomba à 21 en 2001. Derrière cette faillite africaine figure celle du système de Bretton Woods, tel qu'imaginé par ses concepteurs à la sortie de la Seconde guerre mondiale. La communauté internationale choisit en effet de s'en tenir à une gestion de la crise financière, et à l'endiguement des convulsions les plus violentes provoquées par le remède des programmes d'ajustements structurels. Cette tragédie comporte donc son lot d'erreurs, dont les pays industrialisés ne peuvent s'absoudre.

C'est ainsi que nous pouvons conter la véritable tragédie du sous-développement africain. Elle n'évacue en rien la responsabilité humaine, mais révèle qu'aucune société n'aurait pu croître et se développer en de pareilles circonstances. Si elle vaut la peine d'être contée, c'est parce qu'elle nous permet de comprendre pourquoi l'Afrique que nous avons sous les yeux s'éloigne à grand pas de la scène où se joua le drame de son sous-développement. Tolstoï, dans Guerre et Paix, raconte pourquoi il était impossible à la Grande Armée de ne pas parvenir à Moscou, et comment il lui était impossible d'y demeurer. Pas plus que la défaite russe ne pouvait être évitée, l'Afrique ne pouvait conjurer deux décennies de récession suite à la crise des ciseaux. Mais pas plus que les armées de Koutouzov ne pouvaient échapper à la victoire sur les troupes napoléoniennes, il ne lui est possible de faire autrement que de se jeter à corps perdu dans l'aventure de la croissance en ce début de XXIe siècle. Une aventure faite d'opportunités et de périls nouveaux.


Dangereuses illusions ?

Nous berçons-nous de dangereuses illusions ? Ces projections respirent-elles la naïve espérance de devins illuminés ? Se fourvoient-elles dans un afro-optimisme bon teint ? Au contraire. Tout observateur du continent africain perçoit depuis plusieurs années déjà les effets de profonds bouleversements à l'oeuvre au Sud du Sahara. Voyons les chiffres : l'Afrique subsaharienne a connu un taux de croissance annuelle de 5,5 % en moyenne depuis le tournant du siècle, contre seulement 1,35 % pour la zone euro. Or, des travaux récents sur l'évolution des niveaux de vie (4) indiquent que ces estimations sous-estiment la progression des niveaux de vie et la réduction de la pauvreté en Afrique depuis le milieu des années 1990.

L'Afrique, longtemps pensée hors du temps, coupée du monde et rétive à la croissance, change de visage en ce début de XXIe siècle. L'envolée des échanges avec les pays émergents, l'intégration des économies africaines dans les circuits financiers internationaux, l'apparition d'une classe moyenne s'inscrivent en faux par rapport à l'image d'une Afrique maudite, à la marge du monde. L'émergence d'acteurs africains au premier plan des relations internationales, secteurs public et privé confondus, illustre cette normalisation - fruit de mutations profondes. Voici venu le temps de l'Afrique.



(1) Easterly, W. et Levine, R., ?Africa's growth tragedy, policies and ethnic divisions?, The Quarterly Journal of Economics, novembre 1997, CXII.

(2) Moyo, D., L'Aide fatale, Editions JC Lattès, 2009.

(3) Etounga-Manguelle, D., L'Afrique a-t-elle besoin d'un programme d'ajustement culturel ?, l'Harmattan, 2001.

(4) http://www.nber.org/papers/w15775

Jean-Michel Severino et Olivier Ray -  08/04/2010 11:00:00  - L'Expansion.com 

 

 

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commentaires

S
<br /> Vive la coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud et Félicitation pour ce site bien construit. En attendant vendredi..... Bise!<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Je te félicite Saturnin et toute ton équipe parce que nous sommes vraiment fier , car les Hommes politiques pensent que c'est tjrs eux que ns allons attendre ! non ... la culture n'a jamais<br /> menti<br /> FELICITATIONS<br /> <br /> <br />
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